LOVE - Programme du concert

Psyché et Tristan, Isolde et Éros

L’amour, l’amour… Deux duos incarnent dans ce concert le sentiment le plus narré, chanté et illustré de l’humanité. Deux œuvres musicales s’appuyant sur des mythes venus du fond des âges, mettent en scène deux couples synthétisant l’intensité du désir le plus fondamental, Amour et Âme eux-mêmes (Éros et Psyché), et le plus médiéval et romantique à la fois, Tristan et Iseult (en allemand Isolde).

Associer ces deux œuvres tient de l’évidence, et pourtant, n’est presque jamais fait. C’est que nous sommes face à l’un des opéras les plus célèbres, reconnu peut-être comme le plus important de tous pour sa place dans l’histoire de la musique : Tristan et Isolde de Richard Wagner. Alors que Psyché de César Franck, bien qu’ayant connu un certain succès, n’est plus que rarement joué aujourd’hui. C’est dire la fierté des Ondes Plurielles, en compagnie de Marc-Olivier de Nattes, de proposer pour ce concert cette confrontation marquante.

D’autant que les deux œuvres renvoient l’une à l’autre par un effet de double miroir. D’un point de vue narratif, la légende de Tristan tient beaucoup de ses éléments de celle de Psyché : l’origine magique et malencontreuse de leur amour (les flèches d’Éros, le philtre d’Isolde), son dépassement des positions établies (une mortelle et un dieu, une reine et son vassal), sa fin par la fusion et l’élévation des amants (dans la divinité ou dans la mort). Inversement, la musique de Franck doit énormément à celle de Wagner. Psyché va même jusqu’à citer explicitement certains passages de Tristan (ainsi que de la Walkyrie, autre opéra amoureux de Wagner), et surtout, l’ensemble de son langage harmonique emprunte à celui de son illustre prédécesseur. Telles les relations amoureuses qu’elles racontent, les deux œuvres fusionnent dans un même mouvement musical de désir.

Olivier Moulin

Richard Wagner – Tristan und Isolde, Prélude et Mort d’Isolde (1865)

Rogelio de Egusquiza y Barrera - Tristan et Iseut (mort)
Rogelio de Egusquiza y Barrera - Tristan et Iseut (mort)

Le prélude qui ouvre l’opéra marque l’entrée de la musique dans la modernité. Dès sa deuxième mesure, Wagner trouble l’auditeur par un accord incompréhensible selon les critères harmoniques de l’époque : ce qu’on va vite nommer « l’accord de Tristan » s’émancipe suffisamment des règles tonales pour que l’on puisse le considérer comme le point de départ historique d’un élargissement de la tonalité qui conduira à son abandon au début du 20e siècle.

Ce coup d’éclat musical n’est toutefois pas une simple affirmation théorique de la part de Wagner. Il découle de sa manière de composer, qui trouve en Tristan son premier chef d’œuvre : en multipliant les courts motifs symbolisant une émotion, un objet, un événement, il fait passer la narration musicale avant les normes structurelles.

Au début du prélude, le leitmotiv de l’aveu (la première mesure, aux violoncelles) se termine sur le début de celui du désir (la deuxième mesure, aux bois), et c’est de leur rencontre que le fameux accord surgit. « L’aveu du désir » : tout le prélude, puis tout l’opéra, se construiront ainsi, des métamorphoses de la friction originelle de ces leitmotivs.

Comme c’est devenu fréquent lors des concerts symphoniques, le prélude est ici enchaîné à la version orchestrale de la conclusion de l’opéra : le Liebestod, chant de mort d’Isolde devant le corps de son amant. La mort est ici vécue comme une transfiguration, à l’image de la divinisation de Psyché, et la tension de l’accord inaugural se résout enfin sur ces mots : « Dans le torrent déferlant, dans le son retentissant, dans le souffle du monde, me noyer, sombrer inconsciente, bonheur suprême ! »

La mort est donc pensée comme une fusion, avec le monde et avec l’amant. La fin de l’opéra réalise la vision romantique du dépassement de l’individualité et de l’extériorité des amants dans leur unité. Le duo de l’acte 2 (« Ainsi nous mourrions pour n’être plus séparés, éternellement unis, sans fin, sans réveils, sans crainte, oubliant nos noms, embrassés dans l’amour, donnés entièrement l’un à l’autre pour ne plus vivre que l’amour ! ») est concrétisé dans la fin de l’acte 3. La perte de soi devient la réalisation ultime du sentiment amoureux.

Olivier Moulin

César Franck – Psyché (Poème symphonique) (1888)

Antonio Canova - Psyché ranimée par le baiser de l'Amour (Musée du Louvre)
Antonio Canova - Psyché ranimée par le baiser de l'Amour (Musée du Louvre)

L’une des dernières œuvres de Franck manifeste fortement son attachement à Wagner : Psyché reprend à la fois les thèmes et la musique de Tristan. L’orchestre est foisonnant, le chœur intervient dans certains moments clefs, commentant l’action comme un chœur antique, les motifs représentant les personnages et leurs relations se succèdent, de Psyché endormie à l’émerveillement du jardin d’Éros, des zéphyrs enlevant l’héroïne à ses pleurs lorsqu’elle est rejetée… pour finir, comme Isolde, par sa transfiguration et sa fusion avec son amant. La divinité lui est donnée, ce qui reste une façon vraisemblablement plus agréable d’atteindre l’extase que l’union dans la mort du couple wagnérien… mais, chez Franck comme chez son prédécesseur, l’orchestre, plus encore que le texte, transmet l’émotion amoureuse par la rencontre entre tous les motifs de l’œuvre.

Même si nous ne sommes pas ici face à un opéra, la narration occupe une place centrale dans Psyché : les voix de la récitante et du chœur s’associent pour nous permettre de partager les tourments amoureux des personnages, face à la jalousie d’Aphrodite. Nul besoin dès lors de résumer l’histoire ; il suffit de lire, présentés ici, les textes que vous entendrez lors de ce concert, qui mêlent le livret d’origine à une narration écrite par Agathe Heidelberger.

Texte de Psyché

Agathe Heidelberger, récitante

Agathe Heidelberger est comédienne et violoniste de théâtre, diplômée de l’ENSAD de Montpellier en 2020. Elle a monté en 2023 le Collectif la Vermine avec lequel elle écrit et met en scène sa première pièce. C’est avec bonheur qu’elle retrouve aujourd’hui son professeur de violon, Marc-Olivier de Nattes, pour Ondes Plurielles.

Marc-Olivier de Nattes, direction

Marc-Olivier DE NATTES

Membre de l’orchestre National de France, professeur titulaire de la classe de violon et d’orchestre au conservatoire Francis Poulenc du 16ème arrondissement, actuellement responsable de la programmation éducative et culturelle de l’Orchestre National de France. Très impliqué dans les projets destinés au public amateur et professionnel, Marc-Olivier de Nattes travaille avec de nombreuses institutions culturelles : Radio France, la Ville de Paris, la Cité de la musique, le Théâtre des Champs-Elysées, le Théâtre du Châtelet, l’Association Française des Orchestres, le Festival de Saint Denis, les Tréteaux de France. Son expérience de chef d’orchestre s’est construite autour de projets de création d’orchestres mêlant musiciens amateurs et professionnels : Take a bow! avec le London Symphony Orchestra à la salle Pleyel, Les Apprentis du National, le 80′ Orchestra ou Viva l’Orchestra avec l’Orchestre National de France.

Retrouvez l’entretien des Ondes avec Marc-Olivier dans le cadre du programme LOVE

Chœur de chambre Calligrammes

 

Créé en 2015 et dirigé par Estelle Béréau et Guilhem Terrail, chanteurs lyriques professionnels, le chœur de chambre Calligrammes est composé d’une trentaine de chanteurs amateurs. Il se produit dans des répertoires variés, a cappella ou accompagné de formations de tailles diverses. A l’occasion de certains programmes, le chœur invite des musiciens professionnels à l’accompagner (parmi eux : Caroline Dubost et Camille Taver, pianistes – René Lagos-Diaz, guitariste – Linda Edsjö et Cédric Barbier, percussionnistes – Marion Lenard, harpiste – Anthony Millet, accordéoniste – Lionel Allemand, violoncelliste – Pierre Cussac, bandonéoniste – Sarah Kim, organiste). Les musiciens eux-mêmes, ou encore le pianiste et compositeur Quentin Lafarge concoctent  régulièrement des arrangements pour Calligrammes.