Vous avez dit "CLASSIQUE" ?Programme du concert

La musique savante occidentale est souvent dénommée « classique », par opposition aux musiques populaires. Le choix de ce terme est, à bien y réfléchir, assez étrange. Si l’on se réfère au sens qu’il prend en art, le classicisme vise une perfection harmonieuse, mettant en avant la construction et la structure des œuvres ; préoccupation que l’on ne retrouve pourtant pas chez tous les compositeurs et à toutes les époques. D’autre part, la musique n’est « classique » qu’à une époque bien déterminée, et finalement fort courte de son histoire, de la mort de Bach en1750 à celle de Beethoven en 1827. Elle est ensuite romantique, moderne, contemporaine… mais en aucun cas « classique ». Il faut donc, si l’on veut jouer de la musique « classique », revenir à cette période où, avec beaucoup de retard sur les arts plastiques, la musique met en place des formes qui resteront présentes pendant plus d’un siècle. Là est peut-être le sens le plus large, mais en même temps le plus précis, du mot classique : sont classiques des œuvres considérées par les artistes postérieurs comme des références indépassables, points de départ nécessaires à toute tentative de création. Pour la musique symphonique, la période classique l’est doublement, puisque c’est Joseph Haydn qui met en place et impose une structure à la symphonie, encore utilisée au 20e siècle, avec ses quatre mouvements et son effectif étoffé.

Les Ondes Plurielles, après s’être adonnées aux délices d’un lointain successeur de Haydn, le spécialiste ès symphonies Gustav Mahler, avaient envie d’un certain « retour aux sources ». Au sein de la trinité du classicisme viennois, composée de Haydn, de son élève Mozart, et de leur élève à tous deux, Beethoven, notre choix s’est porté sur les deux plus jeunes, moins fondateurs peut-être, mais tenant plus lieu de référence encore, étant donnée la célébrité de certaines de leurs compositions. Il s’agissait pour nous d’effectuer un travail stylistique et d’interprétation, non pour retrouver ce que nous connaissions déjà, mais pour découvrir encore des terres inconnues au sein d’œuvres pourtant si fameuses. Car une écoute attentive de ces compositions classiques étonne autant que celle de morceaux bien plus modernes. Rejoignez nous dans ces moments d’inattendu, où le « déjà-entendu » devient nouveau. Vous avez dit « classique » ?

Wolfgang Amadeus MOZART (1756-1791)

Ouverture des Noces de Figaro, K. 492 (1786)
Concerto pour piano n°23, en la majeur, K. 488 (1786)

Mozart compose ces deux œuvres lors du même printemps, en 1786. Il a 30 ans, et est déjà l’auteur d’un corpus varié et magistral. Loin du petit génie de son enfance, acclamé dans toutes les cours européennes, il est désormais en pleine possession de ses moyens créatifs. Les Noces inaugurent la collaboration de Mozart avec le librettiste Da Ponte, qui produira ces deux autres chefs-d’œuvre que sont Don Giovanni et Cosi fan tutte. L’ouverture, composée après l’opéra lui-même, en présente toutes les atmosphères : les bruissements et l’agitation des premières mesures introduisent la folle journée que Suzanne et Figaro vont vivre. C’est la vitesse qui caractérise cette pièce : le tourbillon théâtral inspiré par la pièce de Beaumarchais ne s’arrête jamais et donne un sentiment exubérant de vitalité.

C’est que le théâtre est au cœur de l’œuvre de Mozart : dans ses opéras bien sûr, mais tout aussi bien dans ses morceaux instrumentaux. Écouter ce sommet des concertos pour piano qu’est le 23è concerto après l’ouverture des Noces le démontre. Non pas que chaque thème doive être interprété comme incarnant un personnage, mais plutôt un état émotionnel, une position personnelle du compositeur. Comment comprendre autrement cet adagio central si intime et apparemment si simple, encadré par les deux impressionnants mouvements extrêmes, de composition autrement complexe ? Ce mouvement lent n’est pas célèbre pour rien : il y a là, avec la sombre tonalité de fa dièse mineur et la balance rythmique de la sicilienne, un secret que Mozart ne dévoile que rarement. Le clair-obscur du premier mouvement, la vivacité du troisième (qui rappelle étrangement l’ouverture des Noces par certains aspects) forment l’écrin du joyau qu’est ce concerto.

Ludwig van BEETHOVEN (1770-1827)

Ouverture de Coriolan, en ut mineur, Op. 62 (1807)
Symphonie n°1, en ut majeur, Op. 21 (1800)

Le contraste entre les deux œuvres proposées ici est on ne peut plus marqué : le do mineur dramatique de l’ouverture, composée lors de la période dite héroïque du compositeur (d’après le nom de sa 3° symphonie) affronte le do majeur léger et encore juvénile d’un Beethoven d’à peine 30 ans, encore élève de Haydn. Il a alors certes le même âge que le Mozart des Noces, mais sa carrière de génie musical est loin d’être aussi avancée. Pourtant, ne faisons pas l’erreur d’ignorer tous les aspects novateurs de cette première symphonie, et de ne pas entendre ce qu’elle dit de la personnalité musicale révolutionnaire du compositeur. Le tout premier accord, fortement dissonant pour l’époque, et éloigné du ton principal, montre la voie : Beethoven cherche à marquer sa place, à surprendre, tout en montrant qu’il n’est pas encore certain de ce qu’il veut. C’est la symphonie d’un chercheur, marquée à la fois par la lumière de la jeunesse et par des hésitations assumées. L’introduction du final, constitué de plusieurs débuts de gammes aux premiers violons, donnant presque l’impression de faux départs, participe de cette esthétique du questionnement. Bien sûr, le do majeur affirmatif, la place des timbales (qui lui valut à l’époque l’appréciation de musique « militaire » de la part de certains critiques), la vivacité d’un menuet qui ressemble déjà à ses futurs scherzos, démontrent que Beethoven, même s’il ne les impose pas encore, a déjà des idées bien à lui de ce que doit être la composition symphonique.

Sept ans plus tard, il composera Coriolan, donné en ouverture de la seconde partie du concert. Beethoven n’est alors plus le même homme. Ayant frôlé le suicide après la découverte d’une surdité inéluctablement en train de s’installer (en 1802, il écrit son fameux « testament d’Heiligenstadt »), il ne pouvait qu’être sensible au thème du général romain Coriolan, traître à sa cité, convaincu par sa femme et sa mère de déposer les armes et finalement tué par sa propre armée. L’homme face au destin, quoi de plus beethovénien ? La 5è symphonie, elle aussi en ut mineur, est alors en cours d’écriture et sera terminée l’année suivante. On reconnaît dans cette ouverture le goût pour les contrastes marqués du Beethoven de la maturité (bien plus que dans sa première symphonie, moins tranchée sur ce plan) : le premier thème, celle de la rudesse du général, s’oppose au second, plainte tendre et sage des femmes qui l’entourent. L’homme violent contre la douceur féminine : cette polarisation de la musique atteint, dans cette ouverture écrite pour une tragédie aujourd’hui oubliée de Heinrich-Joseph von Collin, un niveau proprement épique.

Olivier Moulin


Quentin Hindley, direction

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Quentin Hindley fait partie de la génération montante des jeunes chefs français, dont le travail est salué par la presse internationale. En mars 2021, il fait ses débuts à l’Orchestre de Paris avec la Neuvième symphonie de Beethoven dans le cadre d’une retransmission pour le 37e Shanghai Spring International Music Festival. Il dirige de nombreux orchestres en France et à l’étranger : Orchestre de Chambre de Lausanne, Gulbenkian Orchestra, London Symphony Orchestra, RTÉ Concert Orchestra, Zagreb Philharmonic Orchestra, Miskolc Symphony Orchestra… Son souci du détail et sa capacité à fédérer ont été remarqués lors de ses nombreux engagements, notamment avec l’Orchestre de l’Opéra de Lyon, l’Orchestre national du Capitole de Toulouse, l’Orchestre national d’Île-de-France, l’Orchestre de Paris, ou l’Orchestre de Picardie pour un concert de gala avec la soprano Pretty Yende au Théâtre des Champs-Elysées à Paris. Très impliqué dans les projets sociaux et interculturels en France et à l’étranger, il a dirigé les Académies des Jeunes de l’Orchestre National de Lyon, les orchestres des Conservatoires de Paris et de Lyon, ainsi que les orchestres Démos Metz. Depuis huit saisons, il travaille avec l’Orchestre des Jeunes de la Méditerranée en collaboration avec le London Symphony Orchestra au Festival d’Aix-en-Provence. Dans le domaine de l’opéra, il a créé le laboratoire Pro’Scenio en région Rhône-Alpes, qui vise à former de jeunes chanteurs et musiciens professionnels.

Il est diplômé du Conservatoire de Paris en alto, analyse, orchestration et direction d’orchestre. Il a reçu les conseils de Jean-Marc Cochereau, Pierre Boulez, Paavo et Neeme Järvi, Susanna Mälkki, Jorma Panula, Michail Jurowski, Leonard Slatkin et Sir Simon Rattle, dont il a été l’assistant au Festival d’Aix-en-Provence.

Célia ONETO BENSAID, piano

Célia Oneto Bensaid sort du CNSM de Paris avec cinq prix brillamment obtenus dans les classes de piano, de musique de chambre ainsi que les trois classes d’accompagnement. Elle rejoint ensuite l’École Normale Alfred Cortot où elle obtient le diplôme supérieur de concertiste. Ce sont les conseils de Claire Désert, Brigitte Engerer, Jean-Claude Pennetier ou Rena Shereshevskaya qui l’ont particulièrement inspirée et enrichie.

C’est aujourd’hui sur les plus grandes scènes, en solo, en musique de chambre et en concerto, que Célia choisit avec soin les répertoires qu’elle défend : elle fait notamment partie des artistes les plus engagés dans la redécouverte du Matrimoine musical. Artiste Yamaha, lauréate Banque Populaire, Célia se distingue dans de nombreux concours internationaux(Piano Campus, Fondation Cziffra, concours Nadia et Lili Boulanger, Pro Musicis, Prix HSBC du festival d’Aix-en-Provence etc.), et reçoit le prix du public de la Société des Arts de Genève en2017. Récemment on l’a retrouvée accompagnée des orchestres d’Avignon-Provence (Deborah Waldman), de Bretagne (Aurélien Azan Zielinski) ou de l’opéra de Toulon (Lucie Leguay). En récital et en musique de chambre, elle a été l’invitée de la Philharmonie de Paris, du Théâtre des Champs-Elysées, de la Roque d’Anthéron, de Nouveaux Horizons, de l’Esprit du Piano, de la Folle Journée de Nantes, du Grand Théâtre de Harbin (Chine), du Salamanca Hall (Japon), de la Salle Bourgie, du Wigmore Hall…

Côté disques, au nombre d’une dizaine déjà, ses enregistrements illustrent son attachement à ses répertoires de prédilection (musique américaine, contemporaine et de compositrices) et ont été largement remarqués par la presse (TTTT Télérama, 5 étoiles Classica, choix du Monde, etc.).