Programme du concert 88 touches de poésie

Augusta Holmès (1848-1903), La nuit et l’amour, extrait de Ludus pro patria (1888)

Figure à la fois moderne et romantique de la fin du 19ème siècle français, Augusta Holmès est aujourd’hui bien oubliée. Pourtant, à une époque où les femmes ne pouvaient pas entrer en classe de composition au conservatoire, elle s’affirma de manière éminente, élargissant les possibilités d’expression auxquelles on les restreignait jusqu’aux très grandes formes (l’État lui confia même une Ode pour le centenaire de la prise de la Bastille qui fut jouée par 1 200 interprètes !). Figure des cercles musicaux et littéraires de l’époque, elle vivait de manière libre, sans mariage, sa quintuple maternité.

La nuit et l’amour est un intermède sensuel à l’intérieur d’une grande symphonie-oratorio écrite dans l’ambiance belliciste de reconquête française après la défaite contre l’Allemagne en 1871 (Ludus pro patria peut se traduire par « jeu patriotique »). En partie inspirée par le Wagner du prélude de Lohengrin, Holmès met en valeur un thème extrêmement lyrique, en variant son intensité, en le faisant passer d’un groupe d’instruments à l’autre et, après une apothéose d’une grande puissance, en lui faisant retrouver une quiétude un temps disparue.

Franz Liszt (1811-1886), Concerto pour piano n°2 en la majeur (1857)

L’image du Liszt virtuose du piano, doté de doigts gigantesques dont la vitesse faisait tourner la tête de son public, a été tellement forte qu’on peut avoir tendance à réduire ce musicien à cet aspect purement spectaculaire. Bien sûr, ses œuvres n’hésitent pas à mettre en valeur toutes les possibilités de son instrument, et ce deuxième concerto pas moins qu’une autre : vous entendrez des glissandos sur toute l’étendue du clavier, des octaves enchaînées à un rythme surnaturel, et une densité de notes par seconde assez dantesque. Toutefois, et à la différence peut-être du premier concerto, pourtant plus célèbre, Liszt nous donne à entendre ici toute la variété de son génie. La composition est aventureuse : un thème, énoncé dès l’introduction par les bois, est infiniment repris dans des dimensions toujours différentes ; les six mouvements s’enchaînent de manière continue ; l’orchestration est riche et parfois surprenante, laissant la part belle aux différents instruments, le piano devenant parfois accompagnateur de tel ou tel soliste (on pense notamment au délicat et sobre – osons appliquer ces mots à Liszt ! – mouvement lent). Les émotions provoquées en deviennent bien plus profondes et différenciées et enrichissent la réelle admiration que nous ne pouvons nous empêcher de ressentir devant la dextérité du soliste qui nous offre un tel feu d’artifice.

Camille Saint-Saëns (1835-1921), Danse macabre (1875)

L’une des œuvres les plus célèbres de Saint-Saëns est une mise en musique évocatrice et ludique d’une nuit de sabbat, où un violon désaccordé s’amuse à exciter les esprits malins, et où les sons les plus variés arrivent de l’orchestre (on pense notamment à l’usage du xylophone, que le compositeur reprendra dans son fameux Carnaval des animaux). Rien de mieux pour ressentir l’ambiance de cette danse que de lire des extraits du poème de Jean Lahor qui inspira Saint-Saëns :

« Zig et zig et zig, la mort en cadence
Frappant une tombe avec son talon,
La mort à minuit joue un air de danse,
Zig et zig et zag, sur son violon. […]
Zig et zig et zig, chacun se trémousse,
On entend claquer les os des danseurs, […]
Mais psit ! tout à coup on quitte la ronde,
On se pousse, on fuit, le coq a chanté. »

Camille Saint-Saëns (1835-1921), Concerto pour piano n°2 en sol mineur (1868)

Rapidement composé (en 17 jours !) pour la venue à Paris du grand pianiste, chef d’orchestre et compositeur russe Anton Rubinstein, ce concerto est devenu le plus célèbre de son auteur. Liszt lui-même, présent lors de la création (Saint-Saëns jouait la partie de soliste), félicita le compositeur.
L’œuvre propose une structure originale : contrairement à la presque totalité des concertos, de toutes les époques, il ne comprend pas de véritable mouvement lent. Il ne faut pas s’attendre à des épanchements incontrôlés (même le lyrisme du premier mouvement reste tout à fait noble), mais à des jeux rythmiques, des passages dansants, et surtout, bien sûr, une présence imposante de l’instrument soliste, dont l’étendue sonore et la virtuosité sont admirablement mises en valeur (ne serait-ce que dans la magnifique cadence introductive).

 

Olivier Moulin


Antoine de Grolée

Diplômé du Conservatoire supérieur de Lyon et de l’Académie pianistique d’Imola, le pianiste Antoine de Grolée a remporté le 5ème Prix du Concours International Long-Thibaud en 2007, à 23 ans et et finaliste du concours Chopin sur instruments historiques en 2018. Il a reçu les conseils de grands musiciens et pédagogues tels que Zoltan Kocsis, Hortense Cartier-Bresson, Anne Queffélec, le quatuor Ysaÿe… Il est également lauréat de la Fondation d’entreprise Banque Populaire, de la Fondation Charles Oulmont et du prix international ProMusicis.

Autant attiré par le répertoire solo que la musique de chambre, le concerto et l’accompagnement de chanteurs, il est invité depuis plusieurs années dans de nombreux festivals : Festival des Arcs, Festival de Menton, Chopin à Bagatelle, Prima la Musica à Vincennes… Il s’est produit dans des salles parisiennes (Salle Cortot, Hôtel de Soubise…), lyonnaises (Salle Rameau, Salle Molière, Amphithéâtre de l’Opéra…), à l’Auditorium St-Pierre-des Cuisines à Toulouse… Il a également joué à Bruxelles (Palais des Beaux-Arts), en Espagne (Festival du Prince des Asturies), en Moldavie (Nuits pianistiques de Chisinau), en Italie, Autriche, Angleterre, Argentine…

Stéphanie Marie Degand

Stephanie-Marie Degand est aujourd’hui l’une des rares interprètes capable de maîtriser les techniques et les codes d’un répertoire allant du XVIIe siècle à la création contemporaine. Formée à Caen par le pédagogue et chef d’orchestre Jean-Walter Audoli, mais également par Emmanuelle Haïm, elle rentre à l’unanimité au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris dans la classe de Jacques Ghestem. Elle y affirme d’emblée une démarche pionnière de non-cloisonnement des répertoires en intégrant également le département de musique ancienne.Elle bénéficie ainsi de l’enseignement de maîtres tels que Jacques Rouvier, Alain Meunier, Pierre-Laurent Aimard, mais aussi William Christie, Christophe Rousset, Patrick Bismuth et Christophe Coin. Elle obtiendra 4 premiers prix et suivra le perfectionnement de violon, avant d’entamer une carrière atypique.

Soliste confirmée, chambriste passionnée, violon solo engagé, la direction, et surtout la transmission : rien n’échappera à cette artiste à « l’esprit droit et l’imagination ardente » (P. Baillot, méthode officielle de violon de 1803). Avec le Concert d’Astrée, qu’elle a co-fondé avec Emmanuelle Haïm, et dont elle sera le violon solo puis l’assistante musicale, elle enregistre un répertoire allant de Monteverdi à Mozart. Avec sa partenaire Violaine Cochard, un disque Mozart-Duphly très remarqué par la critique. Elle grave aussi bien les concertos du Chevalier de Saint George que celui de Tchaïkovski, en passant par Haydn, Schumann, Dubois…Parallèlement à son activité de concertiste, elle se consacre progressivement à la direction. Du violon elle dirige notamment l’Orchestre Philharmonique de Liège, Les Violons du Roy, l’Orchestre d’Auvergne…mais à la baguette, elle sera également chef-assistante sur Don Giovanni de Mozart au Théâtre des Champs-Elysées fin 2016. Titulaire du CA, elle est professeur de violon au Conservatoire National Supérieure de Musique et de Danse de Paris, mais enseigne également dans le département de musique ancienne l’approche du répertoire sur instruments historiques.