L'œuvre ultime - Programme du concert

Richard Wagner – Lohengrin, prélude (créé en 1850)

Richard Wagner révolutionnaire ! Malgré l’énigmatique douceur de ses premières notes, l’opéra Lohengrin est marqué du sceau de cette ambition de renouvellement radical qui anime le travail et la pensée du compositeur. La dimension est politique d’abord : écrite entre 1846 et 1848, l’œuvre se ressent de l’agitation de l’époque, qui s’exprime lors du fameux « Printemps des peuples » de 1848 marqué par une série de révoltes en Europe. Wagner se sent proche de ce désir de changement, et ne peut s’empêcher de l’exprimer dans le livret de son opéra, qui appelle à l’arrivée d’un roi de toute l’Allemagne, pieux et juste. Le pouvoir à Dresde est peu ouvert à ce genre d’idées, et refuse la mise en scène de l’opéra ; Wagner doit fuir en Suisse en 1849, et c’est finalement à Weimar que Lohengrin sera créé, sous la direction du grand compositeur Franz Liszt, grand soutien et futur beau-père de Wagner. Parmi les spectateurs, le jeune Louis II de Bavière sera fortement impressionné, au point de devenir ensuite le mécène de Wagner, et même de faire construire un château de contes de fées, le fameux « Neuschwanstein » (nouveau rocher du cygne), pensé comme un « temple » à l’amitié de Richard Wagner et intégrant dans son architecture des références directes à cet opéra.

Aujourd’hui il faut un certain effort pour sentir, à la simple audition du Prélude, l’énergie rebelle qui présidait à sa composition. Pourtant, la musique en est l’écho, tout autant que le livret. Le choix même du terme « prélude », qui remplace l’« ouverture » canonique depuis les débuts du genre de l’opéra en 1600, montre la volonté d’écrire autrement. Alors que l’ouverture présente les thèmes principaux et l’action de l’opéra, le prélude, destiné normalement à l’introduction de musiques instrumentales, crée une ambiance à partir de moyens purement musicaux : la position de tonalités, de timbres sont alors des indices de ce que l’auditeur découvrira dans l’opéra. Le seul thème joué dans ce prélude n’est pas celui d’une action ou d’un personnage, mais le thème mystique du Graal qui joue tant de rôle dans le mystère de Lohengrin, ce jeune chevalier changé en cygne pour sauver Elsa, et qui retournera au fleuve lorsqu’elle le forcera, contre leur serment, à dévoiler son nom. Ce prélude est donc d’abord la position d’une atmosphère, tout sauf guerrière ou dramatique. Il débute doucement dans l’extrême aigu des violons, tellement divisés qu’on se perd dans l’imbrication de leurs notes souvent jouées en harmoniques, ce qui en renforce le caractère éthéré. Manifestant la transcendance, la musique va progressivement descendre sur terre en touchant les sons graves et de plus en plus puissants, avant de retrouver le mystère de ses débuts. À l’écoute du prélude, on ne peut donc pas anticiper les futures actions de l’opéra, mais on est placé dans un mysticisme qui restera au cœur de la pensée wagnérienne, puisque sa dernière œuvre, Parsifal, présentera le père de Lohengrin, et sera plus directement encore dirigée vers la présentation du mystère chrétien. Entre les mythes et les contes de fées, Wagner construit donc sa voie, qui derrière ses prises de positions souvent violentes (on songe à son antisémitisme), cherche à produire musicalement une révélation de la révolution spirituelle et politique qu’il appelle de ses vœux. Plus encore que ses grands opéras précédents, Le Vaisseau fantôme et Tannhaüser, Lohengrin, et en particulier ce prélude pourtant tout sauf grandiloquent, est le véritable point de départ de la révolution musicale wagnérienne que les œuvres suivantes (la Tétralogie et Tristan) mettront définitivement en place.

O. Moulin

Anton Bruckner – Symphonie n°9 (1892-1896)

Lorsqu’Anton Bruckner meurt d’une pleurésie, en 1896, dans un petit appartement des communs du palais du Belvédère de Vienne, mis à sa disposition par l’empereur François-Joseph, en signe d’une reconnaissance tardive qui lui avait été longtemps refusée, il laisse à sa table de travail le manuscrit inachevé du final de sa Neuvième Symphonie, à laquelle il travaille avec obsession depuis plusieurs années. L’histoire raconte que les scellés n’ayant pas été immédiatement placés sur la porte de l’appartement, des élèves auraient emporté certains feuillets du manuscrit, en souvenir de leur maître. Ainsi naît l’un des plus grands mystères du répertoire symphonique…

Si Bruckner a tardé à connaître le succès en tant que compositeur (alors qu’il est un professeur reconnu, qui forme entre autres Gustav Mahler, ses œuvres symphoniques sont critiquées avec rudesse et Brahms, son grand rival, le qualifie de “pauvre nigaud”), celui-ci intervient brusquement en 1884, avec sa Septième Symphonie, dont l’adagio est un hommage à Wagner, mort l’année précédente. Il a alors déjà soixante ans. La Huitième, plus monumentale encore, est écrite rapidement, mais elle est rejetée par Hermann Levi, le grand chef d’orchestre wagnérien à qui le compositeur avait fait parvenir le manuscrit. Bruckner traverse alors une période de profonde dépression qui, conjuguée à son perfectionnisme, le pousse à réviser le texte de la Huitième, mais aussi celui de ses Première et Troisième symphonies, laissant sa Neuvième à l’état d’esquisses. Il faut finalement attendre plus de trois ans pour que, la Huitième enfin créée par Hans Richter, Bruckner s’attelle à son ultime symphonie, qu’il offre à “Dieu, s’il veut bien l’accepter”. Il a près de 70 ans, et sa santé est précaire : il semble avoir été rapidement conscient qu’elle serait la dernière, et il entend qu’elle résume toute son œuvre antérieure.

En octobre 1892, le gigantesque et complexe premier mouvement (“Solennel, mystérieux”), de près d’une demi-heure, est achevé. Bruckner s’y éloigne radicalement de la structure symphonique traditionnelle, y multiplie les idées et les formules thématiques, des tonalités et caractères contrastés s’y côtoient et parfois s’y bousculent, en un flux continu jusqu’à la coda, majestueuse. Après ce monument symphonique, en lieu et place de l’ordinaire mouvement lent, Bruckner insère un scherzo âpre et grinçant, d’autant plus court que le premier mouvement est long. Le seul court moment de répit semble inspiré d’un Ländler traditionnel, et prend volontiers des atours de danse macabre, tandis que le trio, ordinairement plus détendu, se fait ici plus acerbe. Enfin, seulement, arrive l’Adagio, qui ne devait pas être conclusif. Cette longue et sinueuse montée en puissance, d’une grande complexité formelle, recombine et renverse à l’envi de multiples fragments thématiques, culmine dans un accord de neuf sons profondément dissonant, et s’épuise en un silence venu des confins de l’univers.

Après avoir poussé ainsi jusqu’à l’épuisement les logiques tonales et formelles, conclure semblait pour Bruckner tenir de l’insurmontable : en effet, bien qu’il lui reste encore deux ans à vivre lorsqu’il en commence l’écriture, il ne parvient à en venir à bout. Le final inachevé, tel qu’il nous est parvenu, se compose de trois parties : si l’introduction est complète et orchestrée, la partie centrale est plus lacunaire et incomplète, et la coda, qui devait synthétiser l’ensemble de son œuvre, ne fut jamais écrite. Sentant qu’il ne parviendrait pas terminer son œuvre, Bruckner aurait même suggéré de jouer son Te Deum pour clore la symphonie. Si de multiples tentatives de reconstitution de ce final existent, souvent peu convaincantes, elles ont pour principal – et paradoxal – intérêt de souligner le vide créé par l’absence de cet ultime mouvement. Quant au langage tonal, ce sont les successeurs viennois de Bruckner qui se chargeront de lui porter le coup de grâce, quelques années plus tard.

Nous avons pour notre part souhaité nous en tenir au texte achevé par Bruckner, sans spéculer sur ce qui aurait pu être. Cet adagio devenu final accidentel, laisse ainsi place au plus insondable des mystères, celui de l’après, dans un silence saisissant que nous vous invitons à laisser s’épanouir autant que vous le souhaiterez avant, nous l’espérons, d’applaudir l’œuvre ultime…

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F. Layani


Johannes Le Pennec, direction

Orangerie de Sceaux 2019

Violoncelliste de formation (Diplôme Supérieur de Concertiste à l’Ecole Normale de Musique de Paris), Johannes Le Pennec mène pendant plus de quinze ans une carrière de chambriste (DuoCelli, trio, quintette…) et de musicien d’orchestre (Orchestre National des Pays de la Loire, Orchestre Colonne, Orchestre Régional de Chambre d’Ile de France…), donnant de nombreux concerts tant en France qu’à l’étranger.

Il choisit ensuite de réaliser sa vocation première : la direction d’orchestre. Formé notamment auprès d’Adrian McDonnell et de Julien Leroy, son parcours l’a amené à diriger des formations telles que l’Orchestre National de Bretagne, l’Orchestre Régional de Normandie le Scoring Orchestra, l’Orchestre National de Metz, les Ondes plurielles, les Clés d’Euphonia, l’orchestre Note et Bien, l’Orchestre d’Harmonie de Levallois ou l’Orchestre Victor Hugo-Franche Comté et à collaborer avec les Chœurs de Radio-France.

Il est nommé chef associé de l’Orchestre Symphonique Maurice Ravel , avec lequel il dirige régulièrement des concerts symphoniques et l’amène à collaborer sur différentes productions d’opéra (Carmen, la Bohème, Pagliacci…). Il est également directeur musical de l’Orchestre Symphonique Paris-Saclay, à la tête duquel il dirige un large répertoire et accompagne des solistes tels que Marc Coppey, Hervé Joulain ou Jonathan Fournel.

Dans le domaine de la musique contemporaine, il participe notamment au concert d’ouverture du Festival Présences dédié Thierry Escaich, à la création de la nouvelle version de l’opéra « le Premier cercle » de Gilbert Amy à l’Opéra de Massy et il dirige la création de l’opéra-conte « Nadir » de Matthieu Stefanelli.

Dans l’univers du cinéma, en collaboration avec le compositeur Pascal Le Pennec, il enregistre notamment les bandes originales du long-métrage d’animation de Jean-François Laguionie Le Tableau. Du même réalisateur, et avec l’Orchestre National de Bretagne, il enregistre également « Louise en Hiver » et « Slocum ». Enfin, à la tête du Scoring Orchestra, il enregistre la bande originale de « Bayala ». En Avril 2022, il enregistrera la BO de « Trois Contes », prochain long-métrage d’animation de Michel Ocelot (réalisateur de « Kirikou »).

Passionné de pédagogie, considérant la transmission comme un maillon essentiel de notre société, Johannes Le Pennec est titulaire du Diplôme d’Etat et du Certificat d’Aptitude de professeur de violoncelle. Il enseigne au CRI de Palaiseau (91).