Entretien avec Johannes Le Pennec
Chef d'orchestre et violoncelliste aux Ondes plurielles
Les Ondes plurielles ont eu le plaisir de retrouver Johannes Le Pennec à qui elles ont donné carte blanche pour la session « L’œuvre ultime » consacrée à Wagner et Bruckner.
Pourquoi avoir choisi la 9ème symphonie d’Anton Bruckner et le Prélude de Lohengrin de Richard Wagner ?
J’avais d’abord pensé à la cinquième symphonie, de peur que l’effectif de musiciens de la neuvième ne soit trop ambitieux, notamment le pupitre de 8 cors, dont 4 jouent des wagner tuben (mini tubas joués par les cornistes) et l’ensemble des vents ; le tout suppose d’avoir beaucoup de cordes pour retrouver un équilibre naturel. Mais plusieurs musiciens des Ondes souhaitaient jouer la dernière œuvre de Bruckner, ce à quoi j’ai consenti sans problème, cette symphonie étant un Graal !
Comme souvent chez les grands symphonistes, l’œuvre ultime est un sommet : cette musique qui exprime tant de choses sur la vie, la mort, revêt une dimension philosophique voire théologique, tout en suscitant des émotions de façon très directe. On ressort de son écoute transformé.
Quant au choix de Wagner, il s’explique par la volonté de rester dans l’époque post-romantique et de trouver une lumière contrastant avec celle de Bruckner. Ce prélude de Lohengrin nous met dans un état de sérénité idéal pour aborder la 9ème symphonie qui commence dans une certaine austérité religieuse quasi médiévale. Sans compter que les tonalités s’enchaînent très bien.
Quels sont les défis que pose la 9è symphonie ?
Les musiciens doivent comprendre la place qu’ils ont dans la partition. Héritier de Bach, Bruckner dissémine dans son œuvre plusieurs éléments thématiques, qu’il distribue aux différents pupitres. Chaque instrumentiste à qui un motif échoit doit en avoir conscience, ce qui n’est pas évident au niveau individuel, alors que la partition dans sa totalité est un puzzle parfait.
En outre, cette musique requiert une patience liée à l’endurance : ce qu’elle exprime ne trouve son sens que sur du temps long. Sinon, c’est comme si l’on regardait un immense tableau, le nez à 20 centimètres de la toile.
La responsabilité du chef est donc de donner cette vue globale tout en ayant le sens du détail, d’apporter cette dualité entre clarté et grand geste musical.
La densité de cette partition fait que je me suis donné le double de temps par rapport à d’habitude pour la travailler, comme si je la découvrais alors que c’est une pièce que je connais auditivement par cœur.
Comment faire apprécier ce langage à un public peu familier de Bruckner ?
On pourrait comparer Bruckner au cinéaste Stanley Kubrick : comme 2001, l’Odyssée de l’espace, sa musique propose au préalable de très belles images… mais qui nous plongent dans un abîme de réflexion. Donc si on aime Kubrick, je pense qu’on aime Bruckner. Et si on n’aime pas Kubrick, la symphonie est moins longue que le film ! Et la musique, qui nous interroge au début, offre beaucoup de réponses chemin faisant tandis que le film va vers une abstraction grandissante.
Elle reste pourtant inachevée…
Oui, Bruckner est mort sans avoir orchestré le final de cette neuvième symphonie (dédiée à Dieu), dont il voulait que la conclusion soit la coda des codas, la synthèse de toutes ses symphonies. Ses disciples auraient dispersé les dernières pages après son décès. Bien que certaines versions enregistrées proposent des reconstitutions à partir de l’exposition qu’on a retrouvée, on ne saura jamais ce à quoi cette symphonie devait ressembler jusqu’au bout. Mais finir sur la luminosité du 3è mouvement la rend peut-être plus humaine.
Quel est ton lien aux Ondes ?
Un lien affectueux, puisque c’est le seul orchestre dans lequel je joue encore parfois en tant que violoncelliste et que j’ai dirigé. Les Ondes m’ont fait confiance une première fois en 2019 pour Siegfried-Idyll de Wagner et la 4ème symphonie de Schumann, et c’est un plaisir de retrouver un orchestre de très bon niveau qui entretient une vraie flamme pour la musique.
Quels sont tes prochains projets ?
Je dirigerai l’Orchestre national de Bretagne (ONB) pour accompagner Alan Stivell à Rennes le 7 avril, puis à Paris salle Pleyel le 8 avril, avant d’enregistrer, toujours avec l’ONB, la musique de film écrite par Pascal Le Pennec pour le prochain long-métrage d’animation de Michel Ocelot, réalisateur de Kirikou.