Élans mystiques - Programme du concert

Claude DEBUSSY – Prélude à l’après-midi d’un faune
Églogue* pour orchestre d’après Stéphane Mallarmé (1894)

* Eglogue : poème pastoral évoquant la nature et les amours bucoliques.

Premier grand triomphe du compositeur, cette courte pièce symphonique parvient, en à peine 10 minutes, à imposer les points essentiels du style de Debussy : orchestration aérée, qui joue sur la variété des timbres avec une discrète maîtrise (flûtes, hautbois, harpe, cymbales antiques sont mis à l’honneur) ; goût des intervalles originaux, qui tendent à effacer le cadre tonal classique (le thème principal, à la flûte, fait par exemple un va-et-vient langoureux sur un triton surprenant pour une oreille occidentale) ; évolution souple et continue du discours musical.

Le morceau s’appuie sur un poème de Mallarmé, mais ne cherche pas à produire une correspondance sonore, plutôt à en imiter l’ambiance. Debussy a précisé ses intentions dans une note que nous pouvons reproduire, laissant le dernier mot au compositeur : ce Prélude est « une illustration très libre du beau poème de Stéphane Mallarmé. Elle ne prétend nullement à une synthèse de celui-ci. Ce sont plutôt les décors successifs à travers lesquels se meuvent les désirs et les rêves du Faune dans la chaleur de cet après-midi. Puis, las de poursuivre la fuite peureuse des nymphes et des naïades, il se laisse aller au sommeil enivrant, rempli de songes enfin réalisés, de possession totale dans l’universelle nature ».

Olivier Moulin

Texte intégral du poème de Stéphane Mallarmé
Texte intégral du poème de Stéphane Mallarmé

Anton BRUCKNER – Symphonie n°7 en Mi maj, WAB 107 (1883)

1. Allegro moderato
2. Adagio : sehr feierlich und sehr langsam
3. Scherzo : sehr schnell
4. Finale : bewegt, doch nicht schnell

Deux cents ans après la naissance d’Anton Bruckner le 4 septembre 1824, les Ondes lui rendent hommage à l’occasion de ces concerts de rentrée, avec l’un des sommets de son œuvre symphonique. Dans cette septième symphonie, que Luchino Visconti utilisa pour nimber son film Senso d’un éclat de sensualité post-romantique, se donnent à entendre tout à la fois l’amour profond de Bruckner pour la musique de Richard Wagner, son sens de la construction harmonique et son aspiration vers la transcendance et l’infini.

Le compositeur a près de soixante ans lorsqu’il s’attelle à l’écriture de sa septième symphonie, sans que ses œuvres précédentes n’aient véritablement remporté de succès critique ou public. Profondément perfectionniste et influençable, travailleur acharné doutant toujours, Bruckner n’a eu de cesse de les remanier, la Septième échappant seule ou presque à ces réécritures, signe sans doute que le succès public enfin advenu en avait rassuré l’auteur.

Né dans un petit village de Haute-Autriche, fils d’instituteur orphelin de père à treize ans, éduqué par les moines de l’abbaye de Saint-Florian, il se destine à l’enseignement, mais ses qualités d’organiste et d’improvisateur font de lui un musicien puis un professeur d’harmonie et de contrepoint reconnu. Cependant, maladroit, naïf, timide, dénué de charisme, de santé mentale précaire et d’une dévotion profonde, il paye cher dans la Vienne impériale et conservatrice sa personnalité atypique et ses origines modestes. Il s’y fait rapidement la réputation d’un provincial simplet et têtu, excentrique et solitaire, et son admiration sans bornes pour Wagner lui attire les foudres du tout-puissant critique Eduard Hanslick – faiseur de rois dans la capitale autrichienne et bien au-delà – et les railleries acides du peu charitable Johannes Brahms.

Créée à Leipzig le 30 décembre 1884 sous la direction d’Arthur Nikisch, la Septième offre pourtant à Bruckner, loin de ses bases autrichiennes, un premier triomphe auquel, ému aux larmes, il ne semble croire. Du brouillard originel des trémolos avec lesquels commencent la plupart de ses symphonies naît un premier thème portant, sur deux octaves ascendantes, violoncelles et cor à l’unisson, que le compositeur développe à l’envi en un long premier mouvement typique de son écriture. Il y procède par accumulation de couches sonores et de mouvements harmoniques, faits de longs crescendos débouchant sur de saisissantes suspensions, autant d’élans toujours brisés vers l’élévation.

C’est au cours de la composition du second mouvement, dans lequel il utilise pour la première fois des tubas wagnériens (inventés en 1876 par Adolphe Sax à la demande du compositeur et usuellement confiés aux cornistes de l’orchestre), que Bruckner apprend la mort de Wagner. Cette nouvelle l’affecte tant qu’on lui doit sans doute le caractère sombre de la conclusion, qui leur est confiée. ll est également possible que l’émouvant recueillement imprégnant ce second mouvement “très solennel et lent” – où intervient pour la première fois la tonalité de do dièse mineur, pourtant relative du Mi Majeur orientant l’ensemble de la symphonie – mais aussi la citation plus lumineuse, au point culminant, de l’In Te Domine speravi (En Toi, Seigneur, j’ai mis mon espérance) de son Te Deum, soient liés aux près de quatre cents morts de l’incendie du Ring Theater de Vienne le 8 décembre 1881, ayant profondément affecté Bruckner, dont l’appartement faisait face au brasier.

La symphonie se poursuit sur un scherzo très rapide, tout en énergie et se clôt sur un final “allant, mais pas trop rapide”, aux rythmiques enlevées, dans lequel les tubas wagnériens font leur retour pour un choral d’une grande majesté, fournissant le matériau principal du développement. La puissante mais synthétique coda rappelant le thème initial vient conclure l’œuvre sur un ton triomphant, dont Bruckner n’était pas si coutumier.

Fanny Layani


Andrei FEHER, direction

Le chef d’orchestre canado-roumain Andrei Feher s’est bâti une réputation grâce à sa maturité musicale, son intégrité et son autorité naturelle sur le podium.

Après avoir acquis une première expérience en tant qu’assistant de Fabien Gabel à l’Orchestre Symphonique de Québec, Andrei Feher rejoint à l’âge de 22 ans l’Orchestre de Paris en tant que chef adjoint de son directeur musical, Paavo Järvi. Il a collaboré avec certains des interprètes les plus éminents d’aujourd’hui, dont Emanuel Ax, Marc André Hamelin et Erin Wall. Andrei Feher apparaît régulièrement comme chef invité avec les meilleurs orchestres canadiens et européens, notamment le Symphony Nova Scotia, le Scottish Chamber Orchestra, l’Orchestre Symphonique de Montréal, l’Orchestre Symphonique de Québec, Les Violons du Roy et l’Orchestre National d’Île de France. En 2018, à 26 ans, il est nommé directeur musical de l’Orchestre symphonique de Kitchener-Waterloo, faisant de lui l’un des plus jeunes à diriger un grand orchestre canadien.

Violoniste accompli, il a étudié à l’école Joseph-François-Perrault et s’est formé à la direction d’orchestre au Conservatoire de Montréal, avec Johanne Arel et Raffi Armenian. Il vit aujourd’hui à Montréal avec sa femme et ses deux jeunes fils.