CONSTELLATIONSProgramme du concert

Richard WAGNER (1813 – 1883)

Ouverture de Tannhaüser (1845)

Tannhäuser est le cinquième opéra de Richard Wagner. S’il est joué à Dresde en 1845 pour la première fois, le compositeur remaniera maintes fois son livret, puisant dans diverses légendes germaniques au fil des versions. À l’Opéra Garnier, il est créé en 1861, après bien des répétitions, car l’œuvre était difficile d’accès pour de nombreux musiciens…

L’histoire raconte celle d’un Minnesänger, poète chanteur se prenant de passion pour la déesse Vénus. Considéré alorscomme « pêcheur », il devra obtenir son pardon : le sacrifice de Sainte Elisabeth, sa promise, lui apportera le salutéternel. Le décor est planté : dans une ambiance chevaleresque et au cœur du drame, l’amour prend la forme d’une dualité entre amour sacré et profane ; Baudelaire écrira : « Tannhäuser représente la lutte de deux principes qui ont choisi le cœur humain comme champ de bataille, (…) deux chants, religieux et voluptueux, qui trouvent leur équation dans le finale ».

Fidèle à ses prédécesseurs, Wagner énonce dans son ouverture les idées musicales – leitmotivs – qui seront déployées dans l’opéra, à commencer par le thème principal dit « des Pèlerins », porté par les clarinettes, cors et bassons, dans un tempo « Andante maestoso » et une tonalité majeure. Il n’en faut pas plus pour saisir la grandeur des sentiments qui occupent le drame. Ce thème choral lent et solennel est ensuite joué par les cuivres graves, magistral. Plus tard dans l’opéra, on le retrouvera accompagné d’un chœur. Puis vient le deuxième thème, du Mont Vénus, remarquable par son contraste : son pétillement sonore accentué par la vitesse des fusées jouées aux altos et le scintillement des bois nous laissent imaginer une nature bucolique. Enfin, le thème de Tannhäuser, lyrique et puissant à l’image du héros ; sa mélodie est confiée aux violons dans un premier temps. Il sera déployé par les cuivres et l’orchestre, grandiloquent, dans un fortissimo final.

Aurélie Vinatier

Richard STRAUSS (1864 – 1949)

Mort et Transfiguration (1890)

Les années de jeunesse de Richard Strauss, né en 1864, sont celles des grands poèmes symphoniques, aux arguments post-romantiques puisés dans les grands textes de la littérature. Situé entre le frais Don Juan (1889) et la triade héroïque que forment Till Eulenspiegel (1895), Also Sprach Zarathoustra (1896) et Don Quixote (1897), que viendra finalement couronner Ein Heldensleben (Une vie de héros) en 1899, Tod und Verklärung (Mort et Transfiguration) s’en rapproche par la méthode : fondre l’héritage programmatique de Liszt dans le creuset wagnérien de la fougue stylistique et du renouvellement
permanent des thèmes. Toutefois, la fresque qui nous occupe ici s’en distingue par le peu de cas que le compositeur fait en réalité de l’élément littéraire : si un long poème d’Alexander Ritter figure bien en exergue de la partition, il ne fut écrit qu’a posteriori et reste finalement accessoire.

De la tonalité d’ut mineur à celle d’ut majeur, Strauss retrace la dernière heure de l’agonie d’un artiste, et met en musique le tortueux cheminement menant de l’ombre à la lumière, une fois franchi le seuil de l’ultime mystère. Sur le battement irrégulier d’un cœur qu’incarnent les cordes et les timbales, flûtes, hautbois et clarinettes s’enlacent en une sombre danse, dernières réminiscences d’un passé de plus en plus impalpable. Un coup furieux des timbales, et c’est le thème de la mort qui déferle, bouillonnant d’angoisse, avant que ne se succèdent, comme un flot de souvenirs défilant soudain devant les yeux du mourant, élans héroïques, transports amoureux, idéal esthétique.

Peu à peu, tout se brouille et du flou émerge progressivement le thème, apaisé, de la transfiguration. Sur une longue pédale harmonique majeure, les timbres de l’orchestre s’étirent calmement, des graves profonds du contrebasson, du tuba et de la contrebasse aux suraigus des violons, halo sonore, image mystique de l’au-delà.

Fanny Layani

Richard STRAUSS (1864 – 1949)

Quatre derniers Lieder (1948)

Frühling / Printemps – Hermann Hesse
In dämmrigen Grüften / Träumte ich lang / Von deinen Bäumen und blauen Lüften, / Von deinem Duft und Vogelsang. //Nun liegst du erschlossen / In Gleiß und Zier, / Von Licht übergossen / Wie ein Wunder vor mir. // Du kennst mich wieder,/ Du lockst mich zart, / Es zittert durch all meine Glieder / Deine selige Gegenwart.
Dans des caveaux crépusculaires / Longtemps j’ai rêvé / De tes arbres et de tes brises bleues, De ton parfum et de tes chants d’oiseaux. // Te voilà à présent / Dans l’éclat de ta parure, / Nimbé de lumière / Comme un miracle devant moi. //Tu me reconnais, / Tu m’attires avec tendresse, / Je tremble de tous mes membres / De ta bienheureuse présence.

September / Septembre – Hermann Hesse
Der Garten trauert, / Kühl sinkt in die Blumen der Regen. / Der Sommer schauert / Still seinem Ende entgegen. //Golden tropft Blatt um Blatt / Nieder vom hohen Akazienbaum. / Sommer lächelt erstaunt und matt / In den sterbendenGartentraum. // Lange noch bei den Rosen / Bleibt er stehen, sehnt sich nach Ruh. / Langsam tut er die großen /Müdgewordnen Augen zu.
Le jardin est en deuil, / La pluie froide goutte sur les fleurs. / L’été frissonne / Et s’achève en silence // Du haut d’un acacia s’égoutte l’or / Feuille après feuille / L’été sourit, étonné et languissant / Dans le rêve mourant du jardin //Longtemps encore près des roses / Il s’attarde, aspirant au repos / Lentement, il ferme / Ses grands yeux fatigués.

Beim Schlafengehen / Au coucher – Hermann Hesse
Nun der Tag mich müd gemacht, / Soll mein sehnliches Verlangen / Freundlich die gestirnte Nacht / Wie ein müdes Kind empfangen. // Hände, laßt von allem Tun, / Stirn vergiß du alles Denken, / Alle meine Sinne nun / Wollen sich inSchlummer senken. // Und die Seele unbewacht / Will in freien Flügen schweben, / Um im Zauberkreis der Nacht / Tiefund tausendfach zu leben.
Me voilà épuisé par le jour, / Puisse mon désir ardent / Accueillir en amie la nuit étoilée / Comme un enfant fatigué. //Mains, cessez toute action, / Front, oublie toute pensée, / Tous mes sens aspirent à présent / À sombrer dans le sommeil. // Et l’âme, libre / Veut prendre son envol / Pour, dans le cercle magique de la nuit / Vivre profondément de multiples vies.

Im Abendrot / Au crépuscule – Joseph von Eichendorff
Wir sind durch Not und Freude / Gegangen Hand in Hand, / Vom Wandern ruhen wir beide / Nun überm stillen Land. //Rings sich die Thäler neigen, / Es dunkelt schon die Luft, / Zwei Lerchen nur noch steigen / Nachträumend in den Duft.// Tritt her, und laß sie schwirren, / Bald ist es Schlafenszeit, / Daß wir uns nicht verirren / In dieser Einsamkeit. // Oweiter stiller Friede! / So tief im Abendrot, / Wie sind wir wandermüde – / Ist dies etwa der Tod?
Main dans la main nous avons traversé / L’adversité comme la joie / De ce chemin reposons nous tous deux / Sur cette terre enfin tranquille. // Les vallées s’alanguissent autour de nous / L’air s’assombrit déjà / Deux alouettes seules s’élèvent encore / Rêvant dans la brise nocturne
Entre ici, et laisse les virevolter / Il est bientôt l’heure de dormir, / Afin de ne pas s’égarer / Dans cette solitude. // Ô paix immense et sereine ! / Si loin dans le crépuscule, / Nous sommes las de marcher – / Serait-ce cela, la mort ?

Traduction : Fanny Layani

C’est au soir de sa vie que Richard Strauss écrit les Quatre derniers Lieder. Il n’assistera pas à la création par le Philharmonia Orchestra sous la direction de Wilhelm Furtwängler, à Londres en 1950, quelques mois après sa disparition. Si l’ordre des poèmes ne semble pas avoir été fixé par le compositeur, ils sont publiés chez son éditeur Boosey & Hawkes suivant un déroulé qui rappelle forcément celui de nos destinées. Ainsi, métaphore de notre vie rythmée par le passage des saisons, nous passons de l’ivresse d’un printemps promesse de désir, à la lassitude finale face à laquelle on en vient à convoquer la mort ; en passant par le deuil de l’été qui s’éteint ou encore l’appel au sommeil et à la nuit, Beim Schlafengehen.

D’une étonnante force dramatique, l’œuvre – autobiographique ? – semble apparaître comme le testament d’un homme à la longue vie parcourue des vicissitudes de son temps, pour le meilleur et le pire… on pense ici à la sombre page des compromissions de cet homme du XIXe siècle, conservateur et nationaliste, avec le nazisme, sans doute davantage par intérêt personnel que par conviction, mais qui assuma tout de même la présidence de la chambre de musique du Reich (chargée entre autres par Joseph Goebbels de “déjudaïser” le monde musical) avant d’en être exclu pour avoir entretenu une correspondance avec l’écrivain juif Stefan Zweig, et composa quelques œuvres officielles comme l’hymne des Jeux Olympiques de 1936. Mettant la création musicale au-dessus de tout, Strauss disait composer pour exister, « égoïstement » ? Dans ce conflit politique, son amitié indéfectible avec Zweig et leur collaboration pour l’opéra La Femme silencieuse symboliseront ses contradictions intérieures.

Strauss nous livre une œuvre exigeante, parcourue d’un programme intérieur. Il écrit à ce propos : « Notre art est expression, et l’œuvre musicale qui n’aurait aucun contenu poétique à communiquer, serait pour moi tout sauf de la musique ». Ainsi pour les Quatre derniers Lieder s’inspire t-il de Hermann Hesse et Josef von Eichendorff, pour le dernier.

Richesse de timbres, bouillonnement harmonique, mouvement perpétuel sont les fils conducteurs de ces chants. Au-delà de la sublime partie confiée à la voix, Richard Strauss fait dialoguer comme nul autre les instruments, et l’on pense au cor – son instrument de prédilection, notamment dans September ; au violon bien sûr, surnaturel et lyrique dans Beim Schafengehen – moment de grâce. Im Abendrot conclut dans une explosion sonore. Sur une nappe de graves et dans une lenteur bienveillante promesse de repos, la page introductive est confiée aux violons, unis dans les suraigus ; l’envol sera symbolisé par les flûtes. Strauss utilise la tonalité lumineuse de mi bémol majeur qui conclut le cycle dans un apaisement profond.

Aurélie Vinatier


Johannes Le Pennec, direction

Johannes Le Pennec

Violoncelliste de formation (Diplôme Supérieur de Concertiste à l’Ecole Normale de Musique de Paris), chambriste et musicien d’orchestre (Orchestre National des Pays de la Loire, Orchestre Colonne, Orchestre Régional de Chambre d’Ile de France…), Johannes Le Pennec choisit de réaliser sa vocation première : la direction d’orchestre. Formé notamment auprès d’Adrian McDonnell et de Julien Leroy, son parcours l’a amené à diriger l’Orchestre National deBretagne, l’Orchestre National de Metz, l’Orchestre Régional de Normandie, l’Orchestre Victor Hugo – Franche Comté, le Scoring Orchestra, les Ondes Plurielles, l’orchestre Note et Bien, les Clés d’Euphonia ou l’Orchestre d’Harmonie de Levallois et à collaborer avec la compagnie Divinopéra ou les Chœurs de Radio-France.

Il a été nommé chef associé de l’Orchestre Symphonique Maurice Ravel, travaillant sur différentes productions d’opéra (Carmen, La Bohème, Pagliacci…) et est directeur musical de l’Orchestre Symphonique Paris-Saclay, à la tête duquel il dirige un large répertoire et accompagne des solistes tels que Marc Coppey, Hervé Joulain ou Jonathan Fournel. En 2023, il est nommé Directeur musical de l’Orchestre Saint Germain et assiste Myung-Whun Chung dans la Symphonie du Nouveau Monde de Dvořák à l’occasion des 70 ans du Lycée International de Saint Germain en Laye.

Dans le domaine de la musique contemporaine, il participe notamment au concert d’ouverture du Festival Présences dédié à Thierry Escaich, à la création de la nouvelle version de l’opéra Le Premier cercle de Gilbert Amy et il dirige la création de l’opéra-conte Nadir de Matthieu Stefanelli. En 2023, il dirige la création parisienne du conte L’Ile des Jamais trop tard à la Seine musicale, avec la pianiste Vanessa Wagner et l’Orchestre National de Bretagne.

Dans l’univers du cinéma, en collaboration avec le compositeur Pascal Le Pennec, il a enregistré les bandes originales du long-métrage d’animation de Jean-François Laguionie Le Tableau (Prix SACEM de la meilleure musique de film au Festival International du Film Francophone de Tübingen-Stuttgart 2012). Du même réalisateur et avec l’Orchestre National de Bretagne, il enregistre Louise en Hiver (nommé pour le prix SACEM-France Musique de la musique de film2017) et Slocum (sortie en 2024). Toujours en collaboration avec l’ONB, il enregistre la BO du film Le Pharaon, le sauvage et la princesse de Michel Ocelot (nommée au prix des auditeurs France Musique-SACEM 2023). Enfin il crée la partition écrite par Marc-Olivier Dupin pour le ciné-concert L’Homme qui plantait des arbres de Frédéric Back avec l’Orchestre Régional de Normandie. Titulaire du Diplôme d’Etat et du Certificat d’Aptitude de professeur de violoncelle, passionné de pédagogie et de transmission, Johannes Le Pennec enseigne au CRI de Palaiseau (91).

Marianne CROUX, soprano

Marianne Croux

La soprano franco-belge Marianne Croux est diplômée d’un master de chant avec les félicitations du Jury au CNSM de Paris. Révélation lyrique de l’ADAMI 2017, elle entre en résidence à l’Académie de l’Opéra National de Paris de2017 à 2019. Primée lors du concours Reine Elisabeth 2018, elle est élevée au rang d’Officier du mérite wallon par le gouvernement belge. Elle est lauréate de l’Académie d’Aix-en-Provence 2021 et se distingue en finale du Belvedere Hans Gabor Competition 2022.

Régulièrement engagée par l’Opéra de National de Paris depuis sa sortie de l’Académie, elle chante Noces de Stravinsky (Lidberg/Pähn), L’enfant et les Sortilèges de Ravel (Jones/Pähn), Lady Macbeth de Mtsensk de Shostakovitch (Warlikowski/Metzmacher), Iphigénie en Tauride de Glück (Warlikowski/Hengelbrock), A quiet place de Bernstein (Warlikowski/Nagano) et Elektra de Strauss (Carsen/Bychkov). C’est avec la pétillante Zerlina qu’elle chante ses débuts à l’Opéra de Rome (Sir Vick/Rhorer) et le Capitole fait un accueil chaleureux à sa vaillante Micaëla (Grinda/Carella).

Marianne s’investit dans la musique et la création contemporaine. Ainsi, elle chante dans Iliade l’amour de Besty Jolas, Reigen de Boesmans, Le Premier cercle de Gilbert Amy à l’Opéra de Massy. Damien Lehman lui dédie le rôle de Gretel dans Hansel et Gretel.

Invitée à donner des récitals de musique de chambre, Marianne collabore régulièrement avec les pianistes Florence Boissolle, Anne Le Bozec et Anne Bertin-Hugault avec qui elle réalise le premier enregistrement des Douze Chants de Bilitis de Rita Strohl.

La saison dernière, elle était Governess à l’opéra de Dijon (Pitoiset/Askren) unanimement saluée par le public et la critique. Plusieurs apparitions en concert, incluant Ariane de Massenet au Prinzregentheatre de Munich, la Petite Messe Solennelle de Rossini à l’auditorium de Bordeaux.

La saison 2023/2024 sera riche en récitals, nouvelles collaborations avec différents orchestres dont l’orchestre de Metz, l’orchestre Victor Hugo. A l’opéra, Marianne fera deux prises de rôles très attendues avec Blanche de la Force dans Dialogues des Carmélites de Poulenc à l’Opéra de Massy et Nedda dans Pagliacci à l’Opéra de Toulon.

Retrouvez toute son actualité sur https://www.mariannecroux.fr