Aimez-vous Brahms ?Programme du concert

Perfectionniste et d’une grande exigence, au point qu’il lui arriva parfois de détruire ses manuscrits, Johannes Brahms n’a que rarement écrit pour l’orchestre et ne s’est tourné que tardivement vers le genre symphonique, puisque c’est à plus de 40 ans qu’il écrivit sa première symphonie, trop impressionné, dit-on, par la figure tutélaire de Beethoven.

Le programme que nous vous proposons aujourd’hui réunit ses deux œuvres pour orchestre les plus tardives, achevées une dizaine d’années seulement avant sa mort et devenues des monuments du répertoire, toutes époques confondues.

Concerto pour violon et violoncelle en la mineur, op. 102 (1887)

En 1887, Brahms envisage d’offrir une œuvre concertante à Robert Hausmann, violoncelliste du quatuor de Joseph Joachim, son ami de trente ans, dédicataire, créateur et complice en écriture de l’imposant concerto pour violon (1878). Le compositeur et le violoniste sont alors brouillés, et Brahms cherche à renouer leur amitié : il forme donc le projet d’un double concerto de “réconciliation”, initie avec Joachim une longue conversation épistolaire et musicale, et glisse dans la partition de multiples clins d’œil à leur jeunesse commune, en guise de pas supplémentaire en direction du violoniste. Un motif récurrent de trois notes, la-mi-fa, se glisse en effet régulièrement dans l’écriture. Or, en notation allemande, ces notes correspondent aux lettres A-E-F, permutation du motif F-A-E issu de la devise personnelle de Joachim, “Frei aber einsam” (libre mais solitaire). Ces trois accords constituaient déjà le cœur de la sonate que Brahms, Schumann et Albert Dietrich avaient écrite ensemble et offerte à Joachim en 1853.

L’écriture du double concerto est un défi : la tessiture éloignée des deux instruments solistes rend parfois périlleux le maintien des équilibres, entre eux comme avec l’orchestre. Mais la grande richesse offerte par la continuité de leurs timbres et la densité de l’écriture où se multiplient les doubles, triples ou quadruples cordes permet une texture sonore ample et puissante, au service du lyrisme chaleureux et romantique de l’écriture de Brahms. Toute la maîtrise de ce grand compositeur de musique de chambre est à l’œuvre dans les jeux d’écriture des parties solistes : dans une grande liberté rhapsodique – qui n’exclut jamais la rigueur rythmique des superpositions de rythmes binaires et ternaires – le violon et le violoncelle dialoguent, l’un avec l’autre, individuellement ou à deux avec l’orchestre, tout à la joie de l’écoute et de l’échange.

Tirant parti de cette écriture, Ondes plurielles pousse le défi chambriste un peu plus loin, décidant pour l’occasion de se passer de chef d’orchestre et de se placer sous la direction musicale douce et bienveillante de Marc et Emmanuel Coppey, avec le relai complice et essentiel de Maud Rouchaléou, violon solo.

Symphonie n°4, op. 98 (1884-1885)

Après une intense saison de concerts, durant lesquels il dirige ses œuvres, c’est un Brahms quinquagénaire au bord du surmenage qui s’installe à l’été 1884 dans les Alpes autrichiennes, où il compose de nombreuses pièces vocales et pose sur le papier les premières esquisses de sa quatrième symphonie, qu’il achèvera à Vienne durant l’hiver. Celui qui revendique l’héritage de Bach, Beethoven et Schumann y conduit l’art de la symphonie vers des sommets, alors même que l’écriture musicale a déjà considérablement évolué autour de lui, sous l’influence de la lignée concurrente incarnée par Liszt et Wagner et que la forme est prête à tomber en désuétude, en attendant d’être profondément renouvelée par Mahler.

Cette quatrième symphonie donne à entendre toutes les caractéristiques de l’écriture de Brahms : la sensualité, la tendresse et la douceur alternent dans une grande liberté avec la fougue et l’énergie de la danse. Mais elles se parent pourtant ici d’atours plus méditatifs, presque pathétiques parfois, dans une économie de moyens que le compositeur pousse à l’extrême, au service d’un art du développement totalement maîtrisé.

Le premier mouvement plonge l’auditeur in medias res, se passant d’introduction et exposant d’emblée le motif central de la pièce, une succession de tierces descendantes et de sixtes ascendantes, intervalles miroirs portés par des silences suspendus. À cette poésie mélancolique des premières mesures succède un flux continu de développements passionnés, où ces intervalles sont tour à tour renversés, transposés et superposés, conduisant l’auditeur à la méditation du second mouvement, dont le caractère intérieur est atténué par la tonalité majeure et reposante. Le tumultueux troisième mouvement permet à Brahms de renouer avec son amour pour les danses populaires tziganes et hongroises. Le triangle et le piccolo, qu’il n’utilise qu’avec une grande parcimonie dans son œuvre orchestrale, confèrent ici à la musique un caractère joyeux et enlevé, qui contraste en tous points avec la tonalité plus obscure du final, où trois trombones viennent enténébrer le timbre de l’orchestre.

Ce dernier mouvement constitue l’un des plus audacieux édifices du répertoire symphonique. Brahms y reprend avec audace le procédé baroque de la passacaille (variation sempiternelle sur un unique thème à la basse, répété tout au long du morceau), sur un thème emprunté à la chaconne finale de la cantate de Bach “Nach Dir, Herr, verlanget mich” (De toi, Seigneur, je me languis). Cette forme, par essence répétitive, représente pour Brahms un véritable défi de contrepoint et d’orchestration : développé dans tous les caractères possibles, le thème revient ainsi à trente reprises, sans jamais provoquer de lassitude.

Créée en octobre 1885 sous la direction de Brahms lui-même, contrairement aux symphonies précédentes qu’il avait confiées à Felix Otto Dessoff et Hans Richter, la symphonie obtient rapidement un grand succès.

« Après chaque mouvement, la salle résonnait d’applaudissements bruyants et prolongés, et à la fin de l’œuvre le compositeur fut rappelé sans fin… Le finale est certainement le morceau le plus original, et fournit l’argument le plus indiscutable qui ait jamais été mis en avant pour justifier l’opinion de ceux qui voient en Brahms un Bach moderne. »

Bernard Vögl, Leipziger Nachrichten, 18 février 1886

Fanny Layani


Marc Coppey, violoncelle et direction

Marc COPPEY

Formé au Conservatoire de Strasbourg, au Conservatoire national de Paris et à l’Université de l’Indiana à Bloomington (Etats-Unis), Marc Coppey vient d’attirer l’attention du monde musical en 1988, en remportant à 18 ans les deux plus hautes récompenses du concours Bach de Leipzig – le premier prix et le prix spécial de la meilleure interprétation de Bach -, lorsqu’il est remarqué par Yehudi Menuhin.

Il fait alors ses débuts à Moscou puis à Paris dans le trio de Tchaïkovski avec Yehudi Menuhin et Victoria Postnikova, à l’occasion d’un concert filmé par Bruno Monsaingeon. Rostropovitch l’invite au Festival d’Évian et, dès lors, sa carrière de soliste se déploie. Son parcours, marqué par un grand éclectisme, le distingue. Passionné par la musique de chambre, il explore le répertoire avec les plus grands chambristes internationaux. Il est aussi le violoncelliste du Quatuor Ysaÿe pendant cinq ans.

Marc Coppey concilie sa carrière de soliste avec le souci de la transmission : il est professeur au Conservatoire National Supérieur de Paris et donne des master-classes dans le monde entier. Il assure la direction artistique du festival « les Musicales » de Colmar et il est depuis 2011 le directeur musical de l’orchestre les Solistes de Zagreb.

Il a été nommé Officier des Arts et des Lettres par le ministère de la Culture en 2014. Il joue un violoncelle de Matteo Goffriller (Venise 1711).

Emmanuel Coppey, violon

Emmanuel COPPEY

Né en 1999 à Paris, Emmanuel Coppey commence le violon à l’âge de quatre ans. Entré à l’unanimité au Conservatoire de Paris à 14 ans, où il a étudié avec Svetlin Roussev et Philippe Graffin, il sort diplômé d’un Master en 2019. Il est lauréat des concours de Plock, Sofia et Rotary, a reçu le Grand Prix de l’Académie Ravel en tant que chambriste et a participé à plusieurs orchestres de jeunes comme Concertmaster (VFJO, IOIA, RAM et CNSM).

Il a reçu le soutien de l’Adami et de la Fondation pour la Vocation, est boursier de la Royal Academy qui le soutient notamment en lui prêtant un magnifique violon de Giovanni Francesco Pressenda.

En 2020, il crée le PYMS Quartet avec lequel il explore le répertoire de Quatuor avec Piano mais aussi de formations de musique de chambre plus variées aux côtés de plusieurs mentors. Il parfait maintenant son éducation musicale avec György Pauk à la Royal Academy of Music de Londres et à la Chapelle Musicale Reine Elisabeth, où il est Artiste en Résidence depuis septembre 2021, dans la classe d’Augustin Dumay.

Emmanuel bénéficie d’une bourse offerte par le Fonds Borgerhoff.